Chaque année, le même défi se pose : quelles résolutions adopter ? D’un côté, je rêve grand – contribuer à un monde meilleur, plus durable, ou bien gagner en liberté professionnelle et personnelle. Mais ces objectifs semblent démesurés vue que c’est pour une seule année. De l’autre, même les résolutions plus modestes, comme simplement viser une année sereine, se révèlent parfois insaisissables.
L’écologie et le développement durable me préoccupent particulièrement. Les experts nous conseillent de fixer des objectifs « SMART » – spécifiques, mesurables et réalisables. N’acheter que du bio ou lire un livre sur l’écologie chaque mois, par exemple. Ces objectifs sont certes atteignables et gratifiants, mais quel est leur véritable impact ? Car au fond, nos résolutions traduisent une volonté de transformation personnelle et de meilleure utilisation de notre temps.
Face aux défis environnementaux, notre marge de manœuvre individuelle semble limitée. Dois-je me contenter d’objectifs accessibles comme réduire ma consommation de viande ou privilégier les vêtements de seconde main ? Ces petits gestes, bien que réalisables, sont-ils vraiment à la hauteur des enjeux environnementaux et sociaux actuels ?
Choisir des résolutions : entre désirs personnels et enjeux globaux
Les résolutions du Nouvel An reflètent nos aspirations profondes, ces aspects de notre vie qui appellent au changement. Qu’il s’agisse d’ambitions personnelles – comme une évolution professionnelle ou financière – ou d’engagements sociétaux comme la lutte contre le changement climatique, ces objectifs témoignent de nos insatisfactions et de nos espoirs.
Pourtant, nous nous heurtons souvent aux limites de notre influence individuelle. La progression de carrière, par exemple, ne dépend pas uniquement de nos compétences : elle est aussi tributaire du contexte économique, des opportunités disponibles, et parfois même du hasard et de la chance.
Cette impuissance devient encore plus flagrante face aux défis mondiaux. Comment, à mon échelle, contribuer à la paix mondiale, mettre fin aux conflits en Ukraine et à Gaza, ou éradiquer l’extrême pauvreté ? Ces objectifs, bien que nobles, semblent hors de portée d’une action individuelle. Je peux certes espérer leur réalisation, mais transformer ces espoirs en résolutions concrètes paraît démesuré.
Face aux grands enjeux sociétaux, comme l’égalité des sexes et la surconsommation, mon engagement peut prendre des formes plus concrètes. Je peux soutenir la cause féministe par mes votes et mes choix de consommation, privilégiant les entreprises dirigées par des femmes. Je peux aussi repenser mes habitudes d’achat, adopter une consommation plus réfléchie et lutter contre le gaspillage.
Mais une question persiste : ces actions individuelles, aussi louables soient-elles, peuvent-elles vraiment ébranler le statu quo ? Les limites de l’action individuelle nous placent face à un dilemme : devons-nous baisser les bras devant l’ampleur des défis, ou persévérer dans nos efforts, aussi modestes soient-ils ?
Responsabilité individuelle : entre contraintes et choix
Face à notre désir de changement personnel et sociétal, une question fondamentale se pose : quelle est réellement notre marge de manœuvre ? Si certains aspects de notre vie nous insatisfont, d’autres échappent à notre contrôle. Notre lieu de résidence, notre éducation, ou même l’absence d’alternatives durables dans nos déplacements quotidiens – comme le manque de transports en commun – constituent autant de contraintes qui limitent nos choix.
Les pressions sociales ajoutent une autre dimension à ce dilemme. Comment résister à la culture de la consommation quand notre environnement social valorise la possession des dernières nouveautés ? Le désir d’appartenance entre alors en conflit avec nos aspirations écologiques, et chaque choix implique un compromis.
La question de la liberté d’action devient donc centrale. Certains ont le privilège de pouvoir changer d’emploi ou de cercle social, alignant ainsi leurs actions sur leurs valeurs. Mais cette liberté n’est pas universelle – nombreux sont ceux qui restent prisonniers de contraintes matérielles, contraints d’utiliser leur voiture ou de renouveler leur équipement.
Faut-il pour autant renoncer face à ces obstacles ? Si viser l’impossible est vain, abandonner sans tenter de repousser nos limites l’est tout autant.
Le conflit de nos désirs
Certains changements nous semblent impossibles, quelle que soit notre détermination. D’autres paraissent accessibles, mais nous confrontent à nos contradictions internes. Prenons l’exemple de la fast fashion : nous pourrions renoncer aux vêtements bon marché, mais ce choix se heurte à notre désir d’économiser. Le changement est possible, mais il nous semble souvent hors d’atteinte.
Cette lutte quotidienne entre nos différentes aspirations révèle un conflit plus profond : nos désirs immédiats entrent en collision avec notre aspiration à devenir meilleur. Les résolutions du Nouvel An illustrent parfaitement ce défi. Même lorsque nous nous fixons des objectifs réalistes, la force de nos habitudes et l’attrait de la facilité mettent à l’épreuve notre volonté de changement.
Vers une responsabilité partagée
Notre capacité d’action est limitée, y compris dans notre volonté de bien faire. Comme le souligne Galen Strawson, notre responsabilité morale est relative : nos actions sont profondément influencées par notre histoire personnelle et notre environnement. Nés dans une société consumériste et inégalitaire, nous ne pouvons pas simplement effacer ces conditionnements ni transformer radicalement nos valeurs. Il serait injuste de condamner ceux qui luttent simplement pour survivre dans ce monde.
Pourtant, l’inaction collective n’est pas une option. Le changement climatique s’accélère, rendant notre planète de moins en moins habitable. Les inégalités se creusent, menaçant la stabilité politique et sociale de nos sociétés.
Entre la culpabilité paralysante et le déni de toute responsabilité, une voie médiane existe : celle d’accepter notre part de responsabilité dans les mécanismes psychologique qui guident nos actions. Cette approche ne nous accable pas pour notre impuissance face à certaines situations – après tout, nous ne sommes pas seuls responsables de l’état du monde. La culpabilité, bien que puissante, peut nous pousser vers le déni de notre responsabilité, des réactions qui freinent tout changement véritable.
Accepter que certains aspects de notre vie échappent à notre contrôle, façonnés par notre éducation et notre environnement, n’est pas une démission. C’est au contraire une opportunité de comprendre et de transformer les mécanismes psychologiques qui gouvernent nos actions destructrices. Il s’agit d’explorer les racines de nos comportements pour mieux les faire évoluer.
Cette démarche s’apparente à une thérapie face à des comportements autodestructeurs : le changement profond nécessite souvent de plonger au-delà des symptômes visibles. Se contenter d’objectifs facilement atteignables revient à effleurer la surface sans traiter les causes profondes.
C’est pourquoi je préfère viser des objectifs ambitieux, même en sachant qu’ils sont peut-être hors d’atteinte. L’échec n’est plus alors une source de culpabilité, mais une opportunité d’apprentissage et de croissance personnelle.
Reference
SDG’s report 2024, https://unstats.un.org/sdgs/files/report/2024/SG-SDG-Progress-Report-2024-advanced-unedited-version.pdf
Talbert. Matthew (2024), Moral Responsibility, https://plato.stanford.edu/entries/moral-responsibility/